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Sahra Hagani
 
 
 
Sahra Hagani
Avocate Associée
Grant Thornton Société d’Avocats

 
Marcela Szczech
Avocate
Grant Thornton Société d’Avocats

 
Quand la gestion de crise devient la norme,
quels leviers juridiques actionner pour gagner
en agilité ?


Crise des matières premières, crise sanitaire, crise climatique, crise de l’énergie, crise économique et tensions géopolitiques : les crises se multiplient et leurs effets se superposent. Les professionnels sont ainsi pris en étaux entre d’une part, la nécessité de faire face à l’inflation ou encore aux pénuries, et d’autre part au changement de paradigme des acheteurs qui, professionnels ou consommateurs, ne cherchent plus uniquement le meilleur prix mais le meilleur prix empreint de sustainability.

Les entreprises font donc face à un défi de taille : garder le cap de la transformation responsable sur un marché devenu de plus en plus imprévisible.

Pour celles opérant sur le marché amont, cela implique de prévoir des mécanismes d’absorption et de répercussion des hausses de prix que ce soit, par exemple, celles des matières premières industrielles ou agricoles, ou encore du prix du transports, et d’intégrer la gestion des difficultés de production et des pénuries.

Pour celles opérant sur le marché aval, cela implique de stabiliser les prix d’achat, et de s’assurer d’un niveau d’approvisionnement suffisant et régulier pour faire face à une demande relativement volatile et exigeante. Les intérêts des opérateurs sont donc éminemment contraires et les relations commerciales sont ponctuées de phases d’achoppement particulièrement sensibles.

Les relations fournisseurs-distributeurs en particulier dans le secteur agroalimentaire en sont un exemple patent.

Dans ce secteur, l’encadrement des relations commerciales fait régulièrement l’objet de discussions nourries non seulement dans la presse spécialisée mais également sur les bancs de l’Assemblée ou dans les ministères. Force est néanmoins de constater que les interventions législatives successives et les prises de paroles officielles tant des professionnels eux-mêmes que de leurs fédérations ou des autorités de contrôle ne sont pas suffisantes à assurer la sécurité juridique des entreprises et la répartition de valeur compte tenu des évènements – désormais quotidiens – contrariant les prévisions.



Quels leviers juridiques actionner en temps de crise ?

L’expérience de la COVID a démontré que l’instrument refuge en temps de crise, celui susceptible de constituer un bouclier protecteur demeure le contrat.

Cela suppose néanmoins que cet instrument :
- Soit calibré à la relation commerciale qu’il encadre. Il doit à la fois assurer la réalisation de l’opération envisagée dans les conditions prévues par les parties et prévoir les soupapes d’ajustement nécessaires pour affronter les aléas et faire preuve d’agilité.
- S’inscrive dans une politique contractuelle plus globale de l’entreprise et soit au service des objectifs commerciaux qu’elle poursuit. Le contrat doit être le reflet des réalités opérationnelles et juridiques de l’entreprise afin d’optimiser au maximum la gestion de risques.

A défaut, les parties n’auront d’autre choix que de se réfugier derrière le droit commun tel qu’interprété par la jurisprudence, au risque que les solutions en émergeant soient insatisfaisantes.

La pratique contractuelle a développé différents mécanismes permettant d’adapter le contrat à un environnement mouvant.

On peut évoquer en premier lieu, les clauses d’indexation permettant de déterminer les conditions et modalités d’adaptation du contrat sans subordonner leur déclenchement à la volonté de l’une ou des deux parties. Objectives dans leur mise en œuvre, ces clauses ont l’avantage – lorsqu’elles sont suffisamment précises – de soustraire l’adaptation du contrat à une phase de négociation au moment même où les équipes opérationnelles et juridiques doivent être mobilisées en cellule de crise.

Il convient toutefois d’être particulièrement vigilant quant au choix de l’indice afin que son évolution soit en phase avec les besoins de l’entreprise.

A noter que, pour être valables, les clauses d’indexation doivent être fondées sur un indice en lien avec l'objet de la convention ou avec l'activité de l'une des parties. Elles ne peuvent prévoir un indice fondé sur le salaire minimum de croissance, sur le niveau général des prix ou des salaires.


L’on peut également penser aux clauses de hardship qui, depuis la réforme du droit des contrats de 2016, disposent d’un régime de droit commun prévu par l’article 1195 du Code civil et appelé la « révision pour imprévision ».

Les clauses de hardship sont les clauses par lesquelles les parties prévoient les circonstances dans lesquelles elles s’obligent à renégocier le contrat.

Le législateur a pu les rendre obligatoires dans certains types de contrats. Cela est notamment le cas dans les contrats d’achat-revente de produits alimentaires, et il n’est pas exclu que cette obligation soit étendue aux contrats de ce type portant sur les produits de grande consommation (PGC), une proposition de loi, dite Egalim 3, ayant été déposée en ce sens.

Ces clauses ont l’avantage d’obliger les parties à négocier dans les conditions et selon les modalités prévues par la clause. Cependant, sauf mention contraire, elles ne suspendent pas l’exécution du contrat. En outre, elles ne permettent pas de pallier l’absence d’accord des parties et il ne peut être exclu que si les négociations n’aboutissent pas, les parties doivent saisir un tiers voire un juge. Susceptibles d’être longues à mettre en œuvre, leur efficacité est donc assez relative.

Enfin, les clauses de force majeure sont souvent invoquées en cas de difficulté. A la différence de la clause de hardship, elles permettent la suspension de l’exécution du contrat en cas de survenance d’un évènement de force majeure. Elles constituent ainsi un des moyens de défense privilégié en cas de difficultés.

Cela étant, elles ne sont pas toujours un moyen efficace.
En effet, parfois traitées à tort comme des clauses « juridiques » du contrat par les opérationnels, elles reprennent le régime prévu par l’article 1218 du Code civil et s’en remettent à la définition du cas de force majeure précisée par la jurisprudence.

Or, la jurisprudence est très stricte en la matière puisqu’elle exige la réunion de trois critères pour qualifier un évènement de cas de force majeure. Ainsi, cet évènement doit être :
- Imprévisible au moment de la conclusion du contrat,
- Irrésistible, c’est-à-dire que la partie victime du cas de force majeure n’est pas en mesure d’exécuter son obligation du fait de cet évènement,
- Extérieur, autrement dit qu’il n’est pas inhérent à la partie victime. Par exemple, les grèves du personnel de l’entreprise ne sont pas considérées comme des évènements extérieurs.

Pour que la clause de force majeure soit efficace, il convient donc de déterminer contractuellement les cas de force majeure permettant de suspendre l’exécution du contrat, et donc intégrer dans le champ contractuel des événements susceptibles d’avoir un impact significatif sur l’exécution du contrat par l’une des parties qui ne seraient pas qualifiés de cas de force majeure par les juges.

Quels process mettre en place pour faire face aux situations de crise ?

Les crises successives (climatiques, inflationnistes, sanitaires etc.), appréhendées comme des situations imprévisibles, perdent nécessairement ce caractère de par leur multiplication ; il convient désormais d’intégrer l’imprévisibilité comme une donnée fondamentalement prévisible.

Pour ce faire, il est indispensable de mettre en place un process opérationnel de gestion de crise en :
- Identifiant les causes susceptibles d’avoir des effets significatifs sur les prestations ou la production de produits ou services proposés par l’entreprise,
- Les moyens opérationnels et juridiques dont dispose l’entreprise pour y faire face.

La gestion d’un évènement susceptible de mettre en difficulté l’entreprise ne peut donc être efficace que si cette situation est, au préalable, préparée.

Car s’il n’est pas toujours possible de prévoir l’évènement lui-même ou l’étendue de ses effets concrets sur l’entreprise, la politique contractuelle de l’entreprise peut intégrer à la fois :
- L’ensemble des leviers juridiques disponibles pour répondre à ce type de situation,
- Les réponses à apporter en fonction du type de situation rencontrée.

En pratique, cela peut se traduire par :
- Dans un premier temps, une cartographie des risques susceptibles d’avoir un impact sur les prestations ou la production des produits proposés en vue de calibrer ses contrats.
- Dans un second temps, la mise en place de process de gestion de crise visant à permettre aux opérationnels d’actionner le bon levier juridique en fonction de la difficulté qu’ils rencontrent et d’apporter les clarifications nécessaires aux partenaires commerciaux sans délai.

 

 
 
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