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Natalia Moya Fernandez
 
 
 
Natalia Moya Fernández
Avocate Associée
Grant Thornton Société d’Avocats

 
Nathalie Bourguinat
Avocate
Grant Thornton Société d’Avocats
 
 
L’impact du métaverse sur le droit des marques, le droit d’auteur et les noms de domaine


Le métaverse est l’un des sujets phares de ces derniers mois et l’intérêt pour celui-ci s’est notamment développé à la suite de l’annonce faite par Mark Zuckerberg, en octobre 2021, du changement de la dénomination Facebook par Meta. Le métaverse peut être défini comme un monde virtuel, avec une temporalité propre, hébergeant une communauté d’utilisateurs présents sous forme d’avatars dans lequel ces derniers peuvent se déplacer et interagir entre eux en temps réel. Ce phénomène soulève notamment des interrogations en matière de propriété intellectuelle.

Métaverse, ou la nécessaire adaptation du droit des marques

Les entreprises présentes sur le métaverse sont susceptibles de proposer aux utilisateurs la vente de produits leur permettant par exemple d’habiller les avatars (vêtements, accessoires de mode etc.) ou de les faire se déplacer (automobiles, vélos, motos etc.), mais aussi de proposer des services (galeries d’art, concerts, expositions, boutiques, activités sportives etc.).

Or, compte tenu de la nature purement informatique de ces produits et services, la protection accordée par le droit des marques aux produits et services réels ne semble pas transposable à ces produits et services virtuels. Par ailleurs, afin de pouvoir lutter efficacement contre les contrefaçons ou atteintes relevées sur le métaverse, une protection par le droit des marques des produits et services uniquement destinés à cet univers virtuel se présente comme une nécessité.



Aussi, il semble prudent de conseiller aux entreprises intéressées de procéder à de nouveaux dépôts de marques spécifiquement destinés à l’exploitation sur le métaverse de leurs produits ou services.

Par ailleurs, le métaverse est un environnement visuel donc les éléments graphiques et logotypes sont susceptibles d’être plus utilisés que les marques « verbales ». Dès lors, les entreprises doivent être vigilantes à la protection des logotypes et éléments graphiques distinctifs de leur entreprise pour pouvoir agir contre toute reprise non autorisée de ces éléments visuels par un tiers dans le métaverse.

Une augmentation considérable des dépôts de demandes d’enregistrement pour des produits et services en lien avec le monde virtuel a pu être constatée. A titre d’exemple, entre les mois de janvier et août 2022, 130 demandes de marques ont été déposées auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle des marques (EUIPO) pour des produits et services liés au métaverse ou NFT (Non Fungible Token).

Cependant, la classification de Nice actuellement en vigueur n’inclut pas de libellés officiels, notes explicatives ou suggestions pour les produits et services virtuels. Aussi, la 12ème édition de la classification de Nice qui sera applicable à partir de 2023, intègre ces nouveaux produits virtuels afin de faciliter les rédactions des libellés des demandes de marques.

Dans un communiqué de juin dernier, l’EUIPO est venu préciser que les produits virtuels relèvent de la classe 9 à savoir des « contenus ou images numériques ».

En revanche, L’EUIPO demande à ce que le contenu auquel ces produits virtuels se rapportent fasse l’objet de précision. Par exemple, la désignation « produits virtuels téléchargeables, à savoir vêtements virtuels » est suffisamment claire et précise.

Les services relatifs aux produits virtuels seront classés conformément aux principes établis de classification des services. Sont par exemple acceptés par l’EUIPO et l’INPI les « services de magasins de vente au détail concernant des produits virtuels » en clase 35 ou « services de divertissement, à savoir la fourniture en ligne de concerts réels ou virtuels, d’expositions, de jeux et tout autre évènement virtuel » en classe 41. Ces évolutions montrent la capacité du système des marques à s’adapter aux évolutions technologiques et commerciales auxquelles nous sommes susceptibles d’être confrontés d’une part, et la capacité à proposer des ajustements adéquats d’autre part.

Des questions demeurent et notamment celle de l’articulation entre le principe de territorialité de la marque et le métaverse. En effet, le titulaire d’une marque se voit octroyer un monopole uniquement sur le territoire duquel sa marque est enregistrée. Au contraire, le métaverse est un univers autonome, non rattachable à un territoire particulier et touchant le public de manière globale. Ainsi, une marque enregistrée en France pourrait-elle bénéficier d’une protection contre des actes de contrefaçon commis sur le métaverse ? L’accès au métaverse par des utilisateurs français est-il susceptible d’être suffisant pour retenir la contrefaçon en France ? A ce jour, aucune décision n’est venue apporter des éclaircissements sur ce point.

Il convient également d’ajouter que plusieurs praticiens recommandent aux entreprises de protéger leurs marques aux Etats-Unis puisque la plupart des sociétés proposant des univers métaverse (Second Life, Roblox ou Fornite) sont des sociétés américaines, et que les CGU/ CGV de ces plateformes prévoient l’application du droit américain en cas d’atteintes relevées sur celles-ci.

Métavers, un nouveau mode d’exploitation du droit d’auteur

La popularité du métaverse amène à nous questionner en matière de droits d’auteur et notamment sur la rédaction des contrats de cession de droits d’auteur. Une hypothèse simple serait celle d’un contrat de cession entre un styliste ayant conçu une collection de vêtements pour une entreprise. Il est fortement possible que cette dernière envisage que la collection soit exploitée sur le métaverse et portée par les avatars.

En droit français, les contrats de cession doivent impérativement déterminer avec précision le champ d’exploitation des droits cédés (étendue, objet, lieu et durée).

Le métaverse est susceptible d’être considéré comme un nouveau mode d’exploitation ne relevant pas des exploitations digitales que nous connaissons actuellement, à savoir Internet et les réseaux sociaux. Aussi, il semble important que les contrats de cession de droits d’auteur prévoient expressément le métavers comme mode d’exploitation de l’œuvre.

Sur le métaverse, il semble que certaines œuvres de l’esprit (créations résultantes de l’activité intellectuelle et artistique) doivent faire l’objet d’une modélisation en 3D afin qu’elles puissent être adaptées à la réalité virtuelle. Elles doivent donc être reproduites sur un support technique spécifique. Aussi, il semble impératif, pour qu’une œuvre soit exploitée dans cet univers virtuel, que le contrat de cession prévoit une possibilité de reproduire l’œuvre dans un format numérique adapté.

Se pose enfin la question de la présence dans les contrats de la clause anticipant les modes d’exploitation non prévisibles ou non prévus à la date de la signature du contrat (article L.131-6 du Code de la propriété intellectuelle), clause qui pourrait être utilisée dans le cadre d’une exploitation dans le métaverse mais il semble plus sûr pour les entreprises de modifier directement la rédaction des clauses de leurs contrats dans le cas où l’exploitation dans le métaverse n’entrerait pas dans le périmètre de celle-ci.

Métaverse, les nouvelles extensions de noms de domaine et l’émergence du cybersquatting

Le métaverse impacte également les noms de domaine et ce nouvel écosystème vient chambouler le système traditionnel mis en place.

De nouveaux Registrars (bureaux d’enregistrements en charge de la gestion de noms de domaine) ont vu le jour comme Namebase, Namecoin, Unstoppable Domains ou Touchcast qui se sont spécialisés dans la création de noms de domaine basés sur la blockchain. Par exemple, Touchcast propose l’enregistrement du nom de domaine métaverse.

Ces nouveaux noms de domaine ne se servent pas de la même technologie : le système de nommage des noms de domaine traditionnels est lié à la technologie DNS (Domain Name System) alors que le métaverse est notamment lié à la technologie de la chaîne de blocs.

L’un des problèmes majeurs qui émerge est donc le cybersquatting.

En effet, ces nouvelles extensions ne sont pas reconnues ou régulées par l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) et ces noms de domaine fonctionnent de manière totalement indépendante et décentralisée du système DNS.

Or, le système de l’ICANN permet aux titulaires légitimes de marques de tenter d’obtenir la suppression ou de récupérer un nom de domaine utilisant injustement et de mauvaise foi leurs marques et ce, via les procédures UDRP (Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy).

Etant donné que les nouveaux noms de domaine alternatifs ne sont soumis à aucune autorité centrale édictant des règles contraignantes, le titulaire d’un droit antérieur pourra difficilement agir contre une reprise non autorisée de son signe au sein du nom de domaine alternatif, dont le but serait par exemple de tirer profit de la renommée de la marque protégée. Ainsi, il n’existe, à ce jour, pour ces nouveaux noms de domaine, aucune politique de résolution des conflits et aucune arme procédurale pour les titulaires pour se défendre face à des atteintes à leurs droits.

A titre d’exemple, certaines marques françaises et internationales ont déjà fait l’objet de cybersquatting et des utilisateurs de la blockchain ont notamment remporté aux enchères les noms de domaine « samsung.eth » ou encore « volkswagen.eth ».

Se pose alors la question de savoir si ces nouveaux noms de domaine alternatifs seront à l’avenir utilisés de manière complémentaire avec le protocole DNS, et comment les noms de domaine traditionnels s’adapteront à ce nouvel écosystème.

***

L’impact du métaverse sur la propriété intellectuelle apparaît donc comme significatif et de nombreuses interrogations demeurent (identification du contrefacteur, respect des données personnelles, compétence territoriale des tribunaux) dans l’attente d’évolutions législatives ou éclaircissements par les tribunaux français.

Aussi, l’importance donnée à ce nouvel écosystème est nettement perceptible puisque le gouvernement a publié, en octobre, un rapport exploratoire sur le métavers afin de tenter de définir ce concept ainsi que les opportunités, limites et enjeux liés à celui-ci .

 
 
 
 
 

 
 
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