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Nicolas Guillaume
 
 
 
Nicolas Guillaume
Associé
Responsable Business Risk Services,
Expert en Compliance et Forensic

 
 
Forensic : si, où, quand et comment ?


L’inexorable montée en puissance des enquêtes internes

Les enquêtes internes se multiplient au sein des entreprises. Ce phénomène trouve sa source dans plusieurs causes qui se combinent. Il y a bien sûr une cause réglementaire avec la multiplication des lois qui imposent la mise en place de systèmes de lanceurs d’alertes : que ce soit pour lutter contre la fraude et la corruption avec Sapin 2 ou dans le cadre de la loi Potier portant sur le Devoir de Vigilance, (risques Humains, Environnementaux, Ethiques et de Santé et Sécurité) ou de manière plus spécifique au travers, de la transposition de la Directive Européenne visant à protéger les lanceurs d’alertes au mois de mars dernier.

Il y a également une raison plus sociétale avec le renforcement de la judiciarisation de la vie des affaires et la capacité d’un nombre croissant de tierces parties à intenter des actions en justice contre une entreprise au titre de préjudices toujours plus divers : fraude, désaccord sur le prix final d’une transaction, non-respect de clauses contractuelles, dommage environnemental, non-conformité réglementaire, …

Enfin, dans notre société totalement connectée, toute allégation formulée contre une entreprise, dès lors qu’elle présente un minimum de crédibilité, peut très rapidement prendre des proportions démesurées et venir entacher significativement la réputation de celle-ci avec toutes les conséquences imaginables sur ses clients, son cours de bourse, les relations avec ses investisseurs et financeurs ou encore avec ses commissaires aux comptes…

Des finalités multiples

Toutes ces raisons conduisent les entreprises à multiplier les enquêtes – ou investigations – internes avec toutefois des objectifs qui peuvent être très différents. Selon que l’allégation soit purement interne à l’entreprise, fasse l’objet d’une action par une autorité de poursuite ou encore soit connue du grand public, la finalité de l’enquête pourra en effet varier significativement.

Dans le premier scénario, l’investigation visera à établir la réalité des faits afin de permettre à l’entreprise d’évaluer le préjudice subi, de prendre les décisions nécessaires, à la fois pour remédier au dysfonctionnement (s’il est avéré) mais également prendre les sanctions nécessaires et les mesures utiles pour éviter toute récidive. Quand une autorité est saisie et lance sa propre enquête, qu’elle soit judiciaire ou administrative, l’enquête vise toujours à établir les faits mais également à donner la capacité à l’entreprise d’avoir une meilleure visibilité sur les faits allégués et démontrer sa bonne foi en coopérant de manière efficace avec l’autorité en question. Quand enfin l’allégation est publique, l’investigation peut se voir fixer un objectif supplémentaire en termes de capacité de communication pour l’entreprise, en se prévalant de l’indépendance de l’enquête réalisée.

Des enquêtes protéiformes

En fonction de la nature et de l’ampleur des allégations formulées, les enquêtes internes seront amenées à présenter des caractéristiques spécifiques. On ne traite bien évidemment pas de la même manière une allégation de harcèlement et un cas de fraude comptable ou encore une suspicion de collusion entre un acheteur et un fournisseur !

Selon le cas, l’enquête pourra nécessiter d’analyser le contenu d’ordinateurs ou de téléphones portables, de passer en revue des transactions comptables, de conduire des entretiens avec des victimes ou avec des présumés responsables, d’analyser des modèles économiques complexes, de décortiquer des enregistrements de surveillance vidéo, de reconstituer des réseaux d’affaires, de remonter une chaine de contrôle capitalistique, d’intervenir en France ou à travers le monde…

Elle pourra porter sur des faits précis et isolés, relativement simples à investiguer et démontrer, mais également sur des faits multiples et diffus impliquant un très grand nombre d’acteurs tant internes à l’entreprise qu’externes.
Elle pourra avoir une visée purement interne, avoir vocation à être transmise à une autorité judiciaire voire à être communiquée plus largement. On ne peut donc pas réduire la notion d’enquête interne à un processus standard et uniforme, et l’on comprend aisément que les compétences nécessaires seront aussi diverses que les cas à investiguer !

Des compétences…

Selon la nature du sujet, la conduite d’une enquête interne nécessitera de mobiliser des compétences diverses. On peut distinguer deux niveaux : tout d’abord les compétences « cœur » susceptibles d’être mobilisées pour le plus grand nombre d’enquêtes : digital et computer forensic, data analyst, accounting forensic, spécialistes en intelligence économique, investigateurs.

Au second niveau, on retrouvera des expertises à mobiliser en fonction des sujets : spécialistes en valorisation, experts en droit social et/ou fiscal, experts environnementaux, experts en droit des sociétés, … La liste n’est bien sûr pas exhaustive.

Les profils digital et computer forensic auront vocation à donner l’accès aux données quel que soit le support sur lequel elles sont stockées : serveurs, ordinateur, téléphone, tablette, drone, GPS… Ils maîtrisent les processus de collecte de ces données de manière à garantir leur intégrité ainsi que la recevabilité des preuves ainsi collectées.



Les data analyst auront pour responsabilité de comprendre les modèles de données en place et de les faire parler afin de permettre aux équipes d’investigation de se concentrer et de creuser les sujets ainsi pré-identifiés.

Comme leur nom l’indique, les accounting forensic concentreront leurs efforts sur les écritures et transactions comptables. Ils s'attacheront à comprendre et démontrer les transactions réalisées, à suivre les flux financiers au sein de l’entreprise et avec les tiers, à valoriser les impacts comptables et financiers des faits allégués.

Les spécialistes en intelligence économique auront la charge de rechercher, collecter et analyser les sources d’information externes à l’entreprise. Que ce soit au travers de bases d’informations privées, de sources publiques telles qu’internet, les registres publics, les médias ou encore les réseaux sociaux, voire des entretiens avec des tiers. Ils contribueront à apporter une compréhension sur le rôle et le positionnement des différents acteurs, leurs interactions et réseaux d’affaires.

Enfin, l’équipe d’investigation, au premier rang de laquelle le directeur d’investigation, aura pour responsabilité de coordonner les différents experts, dont les travaux sont bien évidemment totalement complémentaires et interconnectés. Ils détermineront la stratégie d’enquête, assureront sa mise en œuvre et son ajustement au fil des « trouvailles ». Ils auront la lourde charge de conduire les entretiens, tant avec les victimes pour recueillir les faits qu’avec les auteurs présumés pour les confronter avec les preuves collectées.

…puissamment outillées

Il est difficile de faire une liste exhaustive des outils nécessaires à la réalisation d’une enquête interne professionnelle, mais on peut à minima lister deux types de technologies incontournables.

Chronologiquement, l’équipe d’investigation aura dans un premier temps recours à des outils de collecte de données. Ces outils visent à copier le contenu des supports électroniques tout en garantissant l’intégrité et l’authenticité des données collectées. Il pourra également s’agir d’extracteurs capables de récupérer les données structurées au sein des systèmes d’information de l’entreprise.

Suivant la nature et l’ampleur des allégations formulées, une enquête interne est susceptible de couvrir des volumes de données particulièrement important. Le traitement de plusieurs terabytes de données nécessite des outils puissants et dédiés : outil de e-discovery pour la revue des données non structurées comme les mails et messageries, outil d'analyse de données structurées.

Les facteurs clés de succès : indépendance et éthique

Si les compétences et les outils constituent des conditions nécessaires pour la conduite d’enquêtes internes efficaces, ils peuvent ne pas être suffisants.

L’indépendance constitue selon nous le premier des facteurs clés de succès d’une enquête interne.

Il est essentiel que celui ou ceux en charge d’une enquête interne puissent la réaliser de la manière la plus indépendante possible, qu’ils puissent mettre en œuvre le niveau de diligence adéquat et justement proportionné en fonction des faits à vérifier.

L’objectivité doit guider les travaux tout au long de l’investigation. Il est essentiel de n’être ni à charge ni à décharge. Les faits, rien que les faits… C’est une évidence, mais cela ne nuit pas de le rappeler, la loyauté des diligences mises en œuvre est également une composante fondamentale en terme d’éthique des investigateurs. Tous les travaux réalisés doivent respecter les droits de toutes les parties prenantes : droit des victimes bien entendu, droits des personnes visées, data privacy...

Quand et comment ?

Dans le contexte actuel, il est très peu probable qu’une entreprise puisse échapper à la nécessité, un jour ou l’autre, de conduire une enquête interne. La question qui se pose à elle n’est donc pas de savoir SI elle aura besoin d’une investigation forensic mais plus de savoir QUAND cela arrivera et COMMENT elle s’y prendra le moment venu.

Une seule chose de sûr, l’entreprise ne choisira ni le moment ni le sujet. Cela implique donc d’être prêt à réagir : soit en mobilisant une équipe interne, si elledispose des ressources compétentes pour ce faire, soit en ayant recours à des spécialistes forensic externes qui, outre l’expertise, pourront également apporter une indépendance renforcée pour les enquêtes les plus sensibles.

Dans cette dernière hypothèse, il est toujours préférable d’avoir identifié les prestataires potentiels en amont pour avoir la capacité de déclencher l’enquête dans les meilleurs délais. Pour beaucoup d’enquêtes, les premières heures et jours sont souvent clés !

 

 
 
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