In                  
 

 
Cession et propriété intellectuelle :
la nécessité d’un juste prix pour éviter la requalification en donation !
 
 

En février 2022, le Tribunal judiciaire de Paris a annulé une cession de marque de l’Union européenne et modèles communautaires en considérant qu’« aux termes de l’article 931 du Code civil, tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité1 » . Le Tribunal avait donc considéré que cette cession à titre gratuit devait obéir au formalisme des donations et être passée devant un notaire.

Cette décision eut un écho retentissant parmi les praticiens de la propriété intellectuelle. Ces derniers s’interrogeaient notamment sur le caractère isolé ou non de cette nouvelle jurisprudence.

La Cour d'appel de Paris a récemment confirmé la décision rendue par les juges du fond en annulant une cession de droits de propriété intellectuelle à titre gratuit lorsqu’elle n’est pas passée devant notaire2.

Plus récemment, une décision rendue par le Tribunal judiciaire de Lyon illustre une nouvelle fois la condamnation par les juges de la cession gratuite de marques3. Aussi, il semble que tous les droits de propriété intellectuelle sont susceptibles d’être soumis à ce risque de requalification4.

Ces récentes décisions viennent donc clarifier la position jurisprudentielle française : la cession de droit de propriété intellectuelle doit inclure une contrepartie réelle et sérieuse pour échapper à la qualification de donation.

L’amorce de ce nouveau courant jurisprudentiel interroge nécessairement quant aux conséquences pratiques. En effet, les cessions à titre gratuit sont fréquentes en matière de propriété intellectuelle et interviennent souvent intra-groupe ou entre un associé ou un collaborateur, titulaires de marque, et leur société, qui souhaite l’exploiter. On pense également aux agences de communication, susceptibles de céder à titre gratuit leurs droits sur les créations réalisées pour le compte de leurs clients dans le cadre par exemple de campagnes de publicité.

La qualification de donation entraîne des conséquences financières et économiques non négligeables pour les parties contractantes puisque des honoraires devront être réglés au notaire pour la préparation et la rédaction de l’acte authentique. En outre, il résulte également une complexification pour conclure les cessions à titre gratuit (prise de rendez-vous avec le notaire, transmission de documents au notaire pour la rédaction de l’acte authentique, échanges par écrit avec le notaire et les avocats, déplacement pour signer l’acte ou l’organisation de la signature électronique etc.).

Outre les frais relatifs à l’intervention d’un notaire, le traitement fiscal du transfert de propriété est susceptible de varier que l’on se trouve dans le cadre d’une cession ou d’une donation (paiement d’éventuels droits de mutation, paiement de droits d’enregistrement, application ou non de la TVA, imposition sur la plus-value etc.).

Enfin, la question du « juste prix » de la cession se pose et plus particulièrement les difficultés que peuvent rencontrer les parties pour fixer le prix réel et sérieux de la cession et réaliser une valorisation correcte des droits faisant l’objet de la cession afin d’éviter une éventuelle requalification par les tribunaux qui jugeraient que le prix est symbolique.




Face à ces enjeux, plusieurs axes de réflexion peuvent être envisagés pour éviter le risque d’une requalification en donation.

Tout d’abord, il conviendrait de limiter le nombre de cessions. Il semble donc impératif, avant tout dépôt de titre de propriété industrielle de réfléchir à la stratégie de gestion et dépôts des droits pour éviter les futurs transferts : par exemple, déposer une marque au nom de la société en formation plutôt qu’au nom du dirigeant de la société pour éviter une éventuelle cession ensuite du dirigeant au profit de la société.

Un autre mécanisme serait, pour les parties, de songer à prévoir une rémunération raisonnable de la cession sans que ce prix soit symbolique. Dans l’hypothèse de la cession d’un portefeuille global de droits de marques, incluant notamment des marques enregistrées à l’étranger, il est recommandé de prévoir un prix ventilé par titre.

Ensuite, les parties peuvent préciser expressément que le contrat de cession est conclu sans intention libérale et en identifiant la contrepartie, sous réserve qu’elle existe réellement. En effet, en l’absence d’intention libérale, la qualification de donation ne peut être retenue5. Dans cette optique, les parties peuvent, dans le préambule du contrat, préciser les motivations pour lesquelles le cédant consent à céder les droits à titre gratuit (par exemple la recherche de notoriété, valorisation de l’exploitation ou meilleure défense des droits en question) mais également la contrepartie non financière que le cédant attend en concluant la cession à savoir par exemple les engagements ou obligations du cessionnaire comme des obligations de non-concurrence ou de coexistence, de défendre ou exploiter les droits en cause.

Enfin, les parties peuvent établir un nouveau contrat de cession. En effet, si une cession a déjà été réalisée sans respect des formalités notariales, il est recommandé de rédiger un nouveau contrat avec une contrepartie et une rétroactivité pour remplacer le contrat de cession initial. 


Les décisions rendues par les juridictions françaises doivent donc amener les cédants et cessionnaires à exercer une certaine vigilance et à veiller à bien encadrer contractuellement leurs opérations de cessions de droits de propriété intellectuelle afin de ne pas risquer une annulation de la cession et se voir condamner pour des actes de contrefaçons.

Dans le cas où il y aurait une réelle intention de céder à titre gratuit un droit de propriété intellectuelle, les parties devront veiller à respecter les formalités notariales applicables aux donations et que la cession soit passée devant un notaire.


1 Tribunal judiciaire de Paris, 8 février 2022, RG n° 19/14142
2 Cour d’appel de Paris, 13 mars 2024, n°22/05440. Il convient de préciser que cette décision s’applique indifféremment de la qualité du donataire, qu’il soit une personne physique ou une personne morale (Cour de Cassation, chambre commerciale, 7 mai 2019, n°17-15.62)
3 Tribunal judiciaire de Lyon, 9 avril 2024, RG n°20/05900.
4 Pour une décision constatant la nullité d’une cession à titre gratuit de droits d’auteur conclue sous seing privé : Tribunal judiciaire de Paris, 6 juillet 2023, RG n° 23/02616.
5 Cour de cassation, 1ère chambre civile, 20 février 2008, n° 07-15.978

 
 
 
Natalia MOYA FERNANDEZ
Avocate Associée,
Propriété Intellectuelle
et Technologies de l’information
T : +33 (0)1 41 16 20 64



 
 
Nathalie BOURGUIGNAT
Avocate,
Propriété Intellectuelle
et Technologies de l’information



 
FB
avocats-gt.com
                              In

Grant Thornton Société d’Avocats est le cabinet d’avocats lié au réseau Grant Thornton en France, dont la société SAS Grant Thornton est le membre français du réseau Grant Thornton International Ltd (GTIL). “Grant Thornton” est la marque sous laquelle les cabinets membres de Grant Thornton délivrent des services d’Audit, de Fiscalité et de Conseil à leurs clients et / ou, désigne, en fonction du contexte, un ou plusieurs cabinets membres. GTIL et les cabinets membres ne constituent pas un partenariat mondial. GTIL et chacun des cabinets membres sont des entités juridiques indépendantes. Les services professionnels sont délivrés par les cabinets membres, affiliés ou liés. GTIL ne délivre aucun service aux clients. GTIL et ses cabinets membres ne sont pas des agents. Aucune obligation ne les lie entre eux.